Il y a deux choses qu’il me plaît de collectionner, les traces de pieds humains que je cueille par la photographie et les mots qui parlent d’expériences transcendantes : éden, ananda, cosmos, énamoration , whaou , wajd, extase, hésychasme, excessus, haal, kaivalya, nirvana, béatitude, maqam, moksha, parâm shântim, ravissement, samâdhi, satori, transe, jukurrpa, templum, PLÉRÔME ; soit nos racines et les bruissements de nos feuillages. « La réalité e st abordée par les appareils de la jouissance » disait Jacques Lacan. De l’un à l’autre de ces signes je fais le tour de nos errances.
— Extrait de “Conte de la grâce du monde” (manuscrit en attente d’édition).

Plérôme : terme issu du christianisme orthodoxe pour exprimer la plénitude des êtres, des paysages ou des temps, l’extase mystique. Le plérôme s’exprime en permanence par la voute du ciel, de l’azur au gris, en passant par les tons rose, rouge, orangé, jaune, une immanence vectrice de transcendance. Photographier les reflets du ciel nous aide à recueillir un peu de la sensation de ce plérôme. C’est dans le grand miroir d’eau qu’est le lac Léman, en canoë ou à pied, que je vais glaner ces images célestes et aquatiques, ces vacuités et tant de surgissements. Souvent ce sont les oiseaux qui manifestent le trait d’union entre le ciel et l’eau ou la terre. En écho et par fidélité à l’idée religieuse et mystique du plérôme, j’ai cueilli face aux images des citations de grands textes de nos traditions spirituelles.

Speculatio - contemplatio
La spéculation désigne un acte intellectuel et un exercice spirituel par lequel l’esprit “fabrique” un support, le “miroir” (speculum), qui lui permettra indirectement de contempler Dieu et d’être élevé jusqu’en Lui. Il s’agit donc d’un moyen d’enflammer le désir de l’union à Dieu, et non d’un exercice purement intellectuel. Pour fabriquer ce miroir, l’homme contemplatif s’appuie sur les propriétés des créatures, les assemble de manière signifiante et les fait “miroiter” afin d’en être illuminé.

- Laure Solignac, glossaire de “Bonaventure, Itinéraire de l’esprit jusqu’en Dieu”

Les Pharisiens et les Sadducéens s’avancèrent et, pour lui tendre un piège, lui demandèrent de leur montrer un signe qui vienne du ciel. Jésus leur répondit : "Le soir venu, vous dites : “Il va faire beau temps, car le ciel est rouge feu” ; et le matin : “Aujourd’hui, mauvais temps, car le ciel est rouge sombre.” Ainsi vous savez interpréter l’aspect du ciel, et les signes des temps, vous n’en êtes pas capables !

- Evangile de Matthieu, 16.1-3 (60-80 ap. J.C)

Comment pourrait-on parvenir à la perle en regardant simplement la mer ? Il faut un pêcheur pour trouver la perle.

- Rûmi, Le livre du dedans ( XIIIe siècle ap. J.C)

Les couleurs aveuglent l'œil. Les sons assourdissent l'oreille. Les saveurs engourdissent le palais. Les pensées affaiblissent l'esprit. Les désirs fanent le cœur. Le Maître observe le monde mais fait confiance à sa vision intérieure. Son cœur est ouvert comme le ciel. (...) As-tu la patience d'attendre jusqu'à ce que ta boue se dépose et que l'eau soit claire ?

- Lao Tseu, Dao de jing (env. 600 ans av. J.C)

Et je vis : Quand il ouvrit le sixième sceau, il se fit un violent tremblement de terre. Le soleil devint noir comme une étoffe de crin, et la lune entière comme du sang. Les étoiles du ciel tombèrent sur la terre, comme fruits verts d’un figuier battu par la tempête. Le ciel se retira comme un livre qu’on roule,
toutes les montagnes et les îles furent ébranlées.

- Apocalypse, 6. 12-14, Nouveau Testament ( 1er siècle ap. J.C)

Loué sois-tu, mon Seigneur, par frère Vent, et par l’air et par les nuages, par l’azur calme et tous les temps : grâce à eux tu maintiens en vie toutes les créatures. Loué sois-tu, mon Seigneur, par soeur Eau qui est très utile et très humble, précieuse et chaste.

- François d'Assise, Cantique de frère soleil (1225 ap. J.C)

Et tu vois les bateaux fendre la mer avec bruit, pour que vous partiez en quête de Sa grâce et afin que vous soyez reconnaissants.

- Coran, Sourate des Abeilles 16 : 14 (612-632 ap. J.C)

Tel de nos sens vagabonds auquel s'attache le mental emporte la compréhension, comme sur l'océan les vents emportent un navire. Celui-là (l'être supérieur) atteint la paix, lui en qui tous les désirs pénètrent comme les eaux dans l'océan (un océan d'être et de conscience vastes) qui toujours se remplit, et pourtant demeure immobile - non pas celui qui, comme les eaux troubles et boueuses.

- Bhagavad-Gita (Ve - IIe siècle av. J.C)

Quels sentiments, à notre avis, pourrait bien éprouver un homme qui arriverait à voir la beauté en elle-même, simple, pure, sans mélange, étrangère à l'infection des chaires humaines, des couleurs et d'une foule d'autres futilités mortelles, qui parviendrait à contempler la beauté en elle-même, celle qui est divine, dans l'unicité de sa Forme ? Estimes-tu, qu'elle est minable la vie de l'homme qui élève les yeux vers là-haut, qui contemple cette beauté par le moyen qu'il faut et qui s'unit à elle ? Ne sens-tu pas que c'est à ce moment là uniquement, quand il verra la beauté par le moyen de ce qui la rend visible, qu'il sera en mesure d'enfanter non point des images de la vertu, car ce n'est pas une image qu'il touche, mais des réalités véritables, car c'est la vérité qu'il touche.

- Platon, Le banquet (env. 375 av. J.C)

En pause lente, l’appareil photo contemple, alors vénus avec les nuages embrassent et reflètent la forme des vagues du lac.

Sais-tu ce qu’est le ciel ? Une coupe à l’envers sans cesse en mouvement et pourtant incassable. Il cache un pur secret voilé de pied en cap, et tu te perds pauvre homme à te rouler dedans. Le ciel ignore tout de ce qu’il dissimule. Va ton chemin, ami. Tu n’y trouveras que stupeur, tremblements, impuissance et misère. Tu parviendras un jour au sommet des sommets, et là que verras-tu ? Une route nouvelle enfoncée comme un clou dans de lointains brouillards.

- Farid-ud-Din Attâr, Le cantique des oiseaux (1177 ap. J.C)

L'amour atteint le voile intérieur du cœur, tandis qu'il embrase le voile extérieur. Lorsque ces différentes stations intérieures ont fait leur apparition chez l'homme, les ruisseaux qui sont les causes de l'Amour ont fini par former dans l'âme de l'amant la mer de l'amour. Le sommet de l'amour humain c'est d'atteindre ce portique, parce que l'âme contemple alors les oeuvres de l'Artiste divin. Ô mon amie ! Comment dire que dans les retombées d'une chevelure qui ondule, il y a les longues traînes des révélations intérieures aux splendeurs d'aurore ? Et que dans les pétales d'une joue en fleur, il y a les soleils et les lunes des contemplations ? Fleur parfumée que respirent les mystiques dans le monde qui n'a pas de limite ! Pourquoi le cœur aurait peur de la noirceur puisque chaque nuit est enceinte de l'aurore ?

- Rûzbehân, Le jasmin des fidèles d'amour (1145-1209 ap. J.C)

Et il me dit : C’en est fait. Je suis l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin. A celui qui a soif, je donnerai de la source d’eau vive, gratuitement. (…) Je suis le rejeton et la lignée de David, l’étoile brillante du matin. L’Esprit et l’épouse disent : Viens ! Que celui qui entend dise : Viens ! Que celui qui a soif vienne, Que celui qui le veut reçoive de l’eau vive, gratuitement.

- Apocalypse, 21. 6, 22. 17, Nouveau Testament (1er siècle ap. J.C)

Le bien suprême est comme l'eau, qui nourrit toute chose sans en avoir l'intention. Elle se contente des places inférieures que les autres dédaignent. (...) Les autres sont lumineux ; moi seul suis sombre. Les autres sont vifs ; moi seul suis insipide. Les autres ont une raison d'être ; moi seul ne sait pas. Je dérive comme une vague sur l'océan, je voyage sans but, comme souffle le vent. Je bois au sein de la Grande Mer. (...) Tous les fleuves se jettent dans la mer parce qu'elle est plus basse qu'ils ne sont. L'humilité lui confère sa puissance.

- Lao Tseu, Dao de jing (env. 600 ans av. J.C)

Jésus répondit : "En vérité, en vérité, je te le dis : nul, s’il ne naît d’eau et d’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit. Ne t’étonne pas si je t’ai dit : “Il vous faut naître d’en haut”. Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit."

- Evangile de Jean, Nouveau testament, 3.5 (90-100 ap. J.C)

Ouvre-moi, ma sœur, mon amie, ma colombe, ma parfaite. Ma tête est pleine de rosée, mes boucles des gouttes de la nuit. (...) Qui est celle qui apparaît comme l'aurore, belle comme la lune, resplendissante comme le soleil, terrible comme des bataillons ? (...) Les eaux multiples ne pourront éteindre l'Amour, les fleuves ne le submergeront jamais !

- Cantique des cantiques, Ancien testament (XIe siècle av. J.C)

Tu m’a réjoui, Seigneur , dans ta création, et au milieu des œuvres de tes mains je bondirai de joie.

- Psaume 91, 5, Ancien Testament

Parmi ce qui existe, qu'est-ce donc ce pour quoi la nature et la divinité nous ont engendré ? Pythagore répondit : pour contempler le ciel.

- Aristote, Invitation à la philosophie, protreptique (354 av. J.C)

Mais interroge donc les bestiaux, ils t’instruiront, les oiseaux du ciel, ils t’enseigneront. Cause avec la terre, elle t’instruira, et les poissons de la mer te le raconteront.

- Livre de Job 12.7-8, Ancien testament-Talmud
(VIe-Ve siècle av. J.C)

Le Seigneur de l’univers va donner sur cette montagne un banquet pour tous les peuples. Il fera disparaître sur cette montagne le voile tendu sur tous les peuples, l’enduit plaqué sur toutes les nations.

- Livre d'Ésaïe, 25.6-7, Ancien testament,
( VIII e siècle -V e av. J.C)

Tu as fait briller une lumière du haut des montagnes éternelles, et tous les insensés ont été troublés.

- Psaume 75, 5, Ancien Testament

Au souffle de Tes narines, les eaux se sont amoncelées, les courants se sont dressés comme une muraille, les flots se sont durcis au milieu de la mer.

- Livre de l’Exode, 15.8, Cantique de Moïse , Ancien Testament (1450-1425 av. J. -C)

Voilà, dis-je, ce qu'on peut nommer le ciel du ciel, ces pures intelligences que le lien d'une paix divine rassemble dans une unité parfaite, comme étant les citoyens de Votre ville sainte qui est dans les cieux, ou plutôt qui est élevée au-dessus de tous les cieux.

- Augustin d'Hippone, Les confessions (397-401 ap. J.C)

Puis les douleurs de l'enfantement l'amenèrent au tronc du palmier, et elle dit: « Malheur à moi ! Que je fusse morte avant cet instant ! Et que je fusse totalement oubliée ! » Alors, il l’appela d’au-dessous d’elle : "Ne t’afflige pas. Ton Seigneur a placé à tes pieds une source.”

- Coran, Sourate de Maryam 19 : 23-24 (612-632 ap. J.C)